Article Tout’Éduc (paru dans Scolaire le jeudi 02 mai 2024 suite au rapport » Enfants et écrans, à la recherche du temps perdu« .
Il faut « assumer et organiser une progression des usages des écrans et du numérique chez les enfants en fonction de leur âge ». La formule pourrait résumer les quelque 140 pages du rapport « Enfants et écrans, à la recherche du temps perdu » qui vient d’être rendu au président de la République. Celui-ci avait installé « à la mi-janvier 2024, une Commission constituée d’experts* issus de la ‘société civile’ pour évaluer les enjeux attachés à l’exposition des enfants aux écrans et formuler des recommandations ».
Le rapport est à la fois alarmiste et positif. « La technologie a la capacité d’émanciper les enfants, de les libérer, parce qu’elle leur permet d’accéder plus librement et plus facilement à la connaissance (…). Pour la première fois, sur un sujet donné, un enfant peut en savoir plus que son parent, que son professeur, ou que son ministre. Mais (…) la Commission a été bousculée par les constats qu’elle a eus à faire sur les stratégies de captation de l’attention des enfants, où tous les biais cognitifs sont utilisés pour enfermer les enfants sur leurs écrans, les contrôler, les réengager, les monétiser (…). »
Les principales propositions du rapport ont été largement reprises par la presse. Voici des éléments qui l’ont été moins souvent.
La “Commission” (elle n’a pas de nom) dresse un état des connaissances scientifiques sur les effets des écrans et elle évoque « un consensus très net sur les effets négatifs, directs et indirects, des écrans sur le sommeil, sur la sédentarité, le manque d’activité physique et les risques de surpoids voire d’obésité (…) ainsi que sur la vue », même si les causes de « l’épidémie de myopie sont diverses et liées à plusieurs aspects du mode de vie contemporain, dont certains sont antérieurs à l’arrivée des écrans ». Quant aux études sur les effets des écrans sur le neurodéveloppement des enfants, elles sont de qualité variable et elles « montrent des associations le plus souvent négatives ou neutres, rarement positives. Les effets qu’ils soient négatifs ou positifs sont faibles. » Ce qui n’empêche pas la Commission d’ « appeler à une grande vigilance ». Elle donne l’exemple du « fait d’allumer la télévision pendant les repas“ qui est ”associé à un moindre développement cognitif, en particulier du langage, entre 2 et 5,5 ans », car c’est autant de temps en moins pour des interactions avec les parents.
Les effets des écrans tiennent en effet pour beaucoup aux comportements qu’ils induisent. Une étude longitudinale qui suit sur 15 ans à partir de 8 ans 13 000 adolescents n’observe « pas d’effet du temps passé sur les écrans à un âge donné sur le développement cérébral des adolescents de 9 à 12 ans (…). Le milieu social d’origine est la variable la plus explicative des différences observées dans le domaine cognitif (…). L’utilisation des jeux vidéo pourrait avoir des effets positifs sur le développement de l’intelligence entre 8 et 10 ans alors que les réseaux sociaux auraient des effets nuls. Enfin à l’adolescence, il faut interpréter les effets des écrans et notamment des réseaux sociaux au regard de vulnérabilité neuropsychologique préexistante. »
« La Commission tient à indiquer que les troubles du neurodéveloppement (TND), dont le TDA/H ou les troubles du spectre de l’autisme, ne peuvent pas être imputables à l’usage d’un écran. Ces troubles sont en effet plurifactoriels et présents dès la naissance. » En revanche, le fil “Pour toi” de TikTok (un fil d’actualité de vidéos personnalisé) « encourage l’automutilation et les idées suicidaires. » De nombreuses vidéos recommandées y idéalisent, banalisent voire encouragent le suicide.
La Commission s’inquiète aussi de « la forte hausse des phénomènes de ‘sexe extorsions’ (ou sextorsions) en direction des mineurs, et y compris parfois entre les mineurs eux-mêmes (…) (12 000 faits recensés en 2023 en France (…) contre 1 400 en 2022) ». Plus globalement, elle constate que « l’arsenal juridique existe contre les fausses informations », même si il est « difficile d’application », mais qu’il est « beaucoup plus ardu d’agir contre les ‘représentations’ véhiculées par la consommation des réseaux sociaux, ou encore l’écoute d’influenceurs, qui peuvent façonner chez les enfants et les adolescents une vision des rapports sociaux, des rapports de genres, du travail…discutables sur le plan éthique. »
Elle souligne toutefois qu’ « il n’y a clairement pas de lien avéré entre les jeux vidéo et la violence dans la vie réelle et a fortiori avec les actes graves et la criminalité. Beaucoup d’autres variables sont nettement plus déterminantes. »
Et pour lutter contre l’omniprésence des écrans, la Commission propose d’offrir des alternatives aux jeunes qui ont tendance à sortir leur téléphone pour tromper l’ennui : « Aménager des aires de jeux (sans écrans) dans tous les lieux d’attente, notamment dans le secteur des transports (gares, stations de métro, abribus, aéroports) et dans les administrations et organismes recevant du public ; garantir la disponibilité d’espaces aménagés pour les enfants (avec présence de jeux de société et de boîtes à livres) dans différents espaces publics ou lieux dans lesquels les enfants sont susceptibles de passer du temps (centres commerciaux, trains par exemple).“ Il faudrait lancer ”un plan massif de déploiement des bibliothèques de rue, sans oublier les associations ». La Commission estime d’ailleurs que « la question des ‘écrans’ ne devait pas masquer le débat plus large, et ô combien nécessaire, de la place, dans notre société vieillissante, des enfants et des adolescents, qui s’invisibilisent. »
Plus immédiatement, elle propose de bannir les écrans des écoles maternelles, « en classe comme sur le temps périscolaire ». Pour les plus grands, elle suggère « que les familles puissent être davantage informées de ce que sont les ENT, de leur fonctionnement et de leurs usages », mais « que les notes ne puissent plus être vues par les parents avant que les enfants aient été prioritairement informés en classe de leur résultat ».
En ce qui concerne le téléphone au collège, « la Commission considère que, dans l’ensemble, l’interdiction (…) est respectée », mais que, pour éviter que les élèves ne soient tentés de sortir leur téléphone pour regarder l’heure, on pourrait « remettre des horloges dans toutes les salles de classe pour renseigner les enfants sur l’heure ».
Elle estime qu’il faudrait « faire intervenir suffisamment tôt l’apprentissage au numérique (dès l’école élémentaire) », la formation au numérique des élèves « reste aujourd’hui à la fois trop fragmentée ». Les efforts conduits « à travers le programme de certification PIX, qui devrait connaître de nouveaux développements prochainement, sont à poursuivre » et devraient être articulés avec l’EMC (enseignement moral et civique), l’EMI (éducation aux médias et à l’information) et la SNT (sciences numériques et technologie, en classe de seconde).
Mais si « tous les acteurs institutionnels appellent à une plus forte coordination des actions », si « quelques tentatives ont été conduites en faveur de plus de transversalité (…), elles n’ont pas survécu aux changements gouvernementaux, créant des effets de stop and go« . Le lancement du site “jeprotegemonenfant” en est « un exemple critique (…) : il n’a plus été investi depuis sa conception et son lancement. »
Le site ici (PDF)
* Les membres de la Commission étaient Servane Mouton, neurologue et neurophysiologiste, Amine Benyamina, psychiatre addictologue, Jonathan Bernard, épidémiologiste, Grégoire Borst, professeur de psychologie du développement et de neurosciences cognitives de l’éducation, Axelle Desaint, directrice du pôle éducation au numérique de Tralalere et d’Internet Sans Crainte, Florence G’sell, agrégée de droit privé et sciences criminelles, Marie-Caroline Missir, directrice générale de Réseau Canopé, a été journaliste, Catherine Rolland, ingénieur, conceptrice de jeux vidéo, Grégory Véret, président de la société Xooloo, spécialisée dans la protection des enfants sur Internet, Célia Zolynski, professeur de droit privé. Les rapporteurs de la Commission étaient Carole Bousquet-Bérard (Administratrice de l’État) et Alexandre Pascal (membre de l’IGAS).