© La “méthode syllabique” fait l’impasse sur la dimension culturelle de l’écrit (ouvrage collectif)
Article de présentation paru dans TouÉduc du vendredi 12 mars 2021.
“En tenant un discours centré sur l’apprentissage des relations entre les sons et les lettres, la politique actuelle (…) a fini par créer des repères de réussite qui renoncent aux véritables enjeux de l’apprentissage de la lecture.” C’est peu dire que Paul Devin, secrétaire général du syndicat FSU des inspecteurs et Christine Passerieux (militante du GFEN) tirent, avec Jacques Bernardin (GFEN), Jacques Crinon (Paris-Est Créteil) et Maryse Rebière (U. de Bordeaux), à boulets rouges sur la vision de l’enseignement de la lecture que promeut l’actuel ministre de l’Éducation nationale dans un petit ouvrage collectif, “Apprendre à lire”.
Les auteurs tiennent pourtant à préciser d’emblée que “ce n’est pas une question de divergence méthodologique”. Il leur serait d’ailleurs impossible “de défendre la méthode idéovisuelle (“globale”, ndlr) de Jean Foucambert”. En 2003 et en 2016, les conférences de consensus réunies par le PIREF (Programme incitatif de recherche sur l’éducation et la formation) puis par le CNESCO (Conseil national d’évaluation du système scolaire) ont “clairement” affirmé que la réussite des élèves “ne pouvait s’accommoder ni de l’absence d’un enseignement structuré du code, ni de sa suprématie aux dépens des autres compétences nécessaires, celles liées à la compréhension des écrits et au développement de leur usage culturel”.
Mais en 2006 et 2017, Gilles de Robien puis Jean-Michel Blanquer “ont mis à mal ce travail pour tenter d’imposer un apprentissage syllabique” fondé “sur une opposition binaire entre syllabique et globale”, alors que “la maîtrise de la lecture nécessite une ensemble de compétences qu’il faut viser simultanément”. C’est d’ailleurs ce que disaient déjà les instructions officielles de 1871, alors que dans les classes, de “fastidieuses procédures” voulaient que chaque lettre soit nommée “avant la lecture de la syllabe puis du mot” (soit èm-o-u/mou, té-o-ènne/ton pour mouton). Et elles ont perduré contre les volontés ministérielles de la fin du 19ème… Encore aujourd’hui, “les élèves restent aveuglés par un déchiffrement intensif, exhaustif et exclusif qui absorbe toute leur énergie” et stagnent “dans un lire-écrire de surface”, lisent “au kilomètre” sans comprendre. Les recommandations actuelles réduisent “l’activité de lecture à l’accumulation de mots déchiffrés”.
Il s’agit au contraire “d’engager les élèves dans un ‘jeu de piste’ où les indices de toutes natures doivent être tissés pour résoudre le problème que pose la phrase”, pour situer le texte, voir à quelle nécessité il répond, raconter une histoire, donner une information, en demander une, se souvenir des courses à faire… L’idéologie du “retour à la syllabique” est celle “d’un retour de l’ordre”, sans se préoccuper “de ses effets sociaux”. Dans les milieux populaires en effet, “l’usage des écrits est souvent moindre et plus éloigné des pratiques valorisées par les apprentissages scolaires”. Or “entrer dans l’écrit, c’est modifier son rapport au monde (…), c’est le mettre à distance par l’abstraction”. Pour les auteurs, l’apprentissage de la lecture constitue “une pratique culturelle en classe”.
Apprendre à lire, une pratique culturelle en classe, sous la direction de Paul Devin et Christine Passerieux, Editions de l’atelier, 143 p., 16 €