Élisabeth Bautier
L’ambiguïté de l’oral scolaire : des obstacles aux apprentissages des élèves en difficultés.
Des suggestions pour permettre aux élèves des usages d’un oral pour apprendre.
L’oral est aujourd’hui omniprésent dans les classes à tous les niveaux de la scolarité ; considérer cette omniprésence de l’oral comme un obstacle aux apprentissages peut paraître paradoxal tant l’écrit et la culture écrite ont été durant des décennies pensées comme l’origine des inégalités sociales du système scolaire. Cependant, dans la mesure où les raisons de cette valorisation récente de l’oral (ex. son inscription aux épreuves du baccalauréat) sont plurielles, il en résulte des ambiguités dans les situations mises en œuvre dans les classes et ce faisant des oraux fort différents selon les élèves en fonction de leurs habitudes socialement construites.
Il est ainsi possible et nécessaire de distinguer plusieurs usages de l’oral dans les pratiques de classe dès la maternelle et jusqu’en terminale, car tous ces usages ne se valent pas au regard de ce qu’ils permettent de travail cognitif et d’apprentissage, mais tous sont valorisés dans les objectifs actuels concernant le langage. Distinction donc importante à faire entre des usages communicatifs, expressifs et élaboratifs, ces derniers étant ceux qui sont sollicités lors des apprentissages disciplinaires dans les conceptions didactiques contemporaines. Il ne s’agit évidemment pas ici de nier l’importance de la communication et de l’expression dans la société actuelle et donc de leur apprentissage scolaire, mais plutôt de souligner qu’à l’oral, comme à l’écrit, les usages du langage ont leurs spécificités, leurs visées, leurs contraintes linguistiques. De plus, les usages élaboratifs, pratiques langagières à part entière, qui sont fondés sur la mobilisation des savoirs, des raisonnements, des mises en relation,… ne sont pas partagés par tous les élèves. Cet oral pour apprendre conduit à travailler plus spécifiquement les rapports étroits entre langage et cognition, en d’autres termes, il est question de permettre aux élèves de construire dans l’oral de la classe le travail cognitivo langagier nécessaire aujourd’hui à l’appropriation des savoirs et au travail scolaire. En effet, ces évolutions qui mettent moins l’accent et la priorité sur la restitution des savoirs, sur un cadrage serré des tâches que sur la compréhension, la problématisation, la conceptualisation dès les premiers moments de la scolarité, conduisent les élèves à devoir développer des conduites discursives nouvelles pour nombre d’entre eux. Autrement dit, pour ces élèves, il s’agit d’entrer dans de nouveaux modes de socialisation langagière et cognitive par le biais des échanges réitérés au sein de la classe. En effet, il ne s’agit pas que de simples usages du langage qu’il faudrait simplement apprendre, mais bien de pratiques langagières socialement construites et socialement significatives qui construisent de nouveaux sujets dans leur rapport au monde et au langage.
Seront évoquées des analyses d’échanges en classe qui mettent en évidence que tous ne se valent donc pas pour construire chez tous les élèves les modalités de raisonnement, de questionnement… qui peuvent les mettre de plain-pied avec les attendus des situations didactiques mises en œuvre.
Bibliographie sur le thème de l’intervention
BAUTIER (É), 2007, « Socialisation cognitive et langagière et discours pédagogique », in D. Frandji, P. Vitale, dirs., L’actualité de B. Bernstein, discours pédagogique, pouvoirs, Rennes, P.U.R., p.133-150
BAUTIER (É), 2016, Et si l’oral pouvait permettre de réduire les inégalités ?, Les dossiers des sciences de l’éducation, n°36, p.95-108
BAUTIER (É), 2016, Vers le langage pour apprendre. 35 ans d’enseignement de la langue ou du langage en ZEP, Diversité, n°186
BAUTIER (É), 2017, Le langage pour apprendre. Évolutions curriculaires et construction des inégalités sociales à l’école, Didactique en pratiques, n°3, p.7-15
VINEL (É), BAUTIER (É), 2020, Une expérience d’accompagnement en REP+, Diversité, n°197, p.118-124
VINEL (É), BAUTIER (É), 2020, Des échanges langagiers dans la classe pour construire des usages cognitifs du langage et réduire les inégalités scolaires, Revue suisse des sciences de l’éducation, n°42(3), p.557-568
A paraître :
BAUTIER (É), VINEL (É), Les usages cognitifs du langage dans la classe ou les composantes de la réduction des inégalités d’apprentissage, in « Former contre les inégalités », P. Losego et H. Dürler, dirs., Neuchâtel, Alphil.