(FERMÉ) Billets d’humeur : Le maître E en mode confinement.

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Bonjour
Je vous partage un petit billet d’humeur inspiré par les injonctions ambiantes et en particulier le « on ne laissera personne sur le bord du chemin ». Nous avons eu une réunion directeur en visio la semaine dernière. Nous, membres du rased, avions fait part à l’IEN des inquiétudes des familles quant à la continuité pédagogique. Notre questionnement, entre autre, portait sur la nécessité de parler de consolidation, de maintien des acquis et non d’apprentissages propres à un enseignement en classe. De cela il  fût très peu question (point placé en dernier dans l’ordre du jour et évoqué alors que le temps de réunion était dépassé. Il a été expédié en moins de 5 minutes!). Nos remarques  postées par tchat n’ont pas été relevées!
Nous pensons que ce qui se passe maintenant aura une portée très déterminante pour l’après et que ne pas tenir compte déjà des réalités de la situation va mettre à mal élèves, familles et enseignants.
Nous craignons aussi que nos fonctions d’enseignants spécialisés soient utilisées à des fins de « ramassage » des laissés sur le bord du chemin. A force de le crier haut et fort, il faudra bien que l’Institution apporte un semblant de réponses concrètes. Ne serons-nous pas alors en première ligne ? Quelle sera notre posture ? Quel sera notre cadre en tant qu’enseignant spécialisé? Ne faudrait-il pas dès à présent réfléchir ensemble, les rased, à un positionnement commun de notre place et de nos interventions au retour à l’école? Car auparavant, il faudra sans doute préparer les enseignants à la façon dont nous allons nous aussi revenir à l’école et cela avant que nos IEN nous obligent à des interventions inadaptées et hors de nos missions!
Bon courage à tous et portez-vous bien!
Béatrice Garcion, rased Couëron-Savenay (44).

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Billet d’humeur : Réflexion sur l’après confinement dans les écoles.

Comment l’Institution va gérer le « on ne laissera personne sur le bord du chemin » ? Voiture balai avec trousse de premiers secours (ah non, il y a pénurie, restriction budgétaire oblige…) ? Assistance respiratoire pour élève en état d’asphyxie ? Diagnostics avec délivrance d’ordonnances en direction de spécialistes libéraux ?

Pour ne laisser personne sur le bord du chemin, il faut accompagner et aller au même rythme. Sinon on risque de perdre quelques individus restés derrière, manquant de souffle. Nous avons tous fait l’expérience d’une ascension vers un sommet ardu. Il fallait être bien inspiré pour voir dans le gigantesque effort que nous réalisions, l’approche inexorable du graal : sommets enneigés, vue panoramique, faune sauvage… Sans cela, sans cette conviction qu’au bout nous serions ainsi récompensés de nos efforts, nous nous serions probablement arrêtés là, sur le bord du chemin ! Est-ce l’acharnement à se tenir à une aléatoire continuité pédagogique qui pourra aider les élèves essoufflés, ceux partis avec un caillou dans la chaussure ou qui l’ont récupéré en route à dépasser les obstacles d’un enseignement à la maison ? Non, le sommet semble avoir disparu dans les brumes ministérielles. Mais pour les autres, les marcheurs, les bons marcheurs, ils avancent ; ils iront probablement au bout du chemin et si quelques ampoules au pied   les ont fait ralentir, ils avaient dans leur sac de quoi remédier au bobo.

Alors, si on ne pense à ceux qui peinent , qu’à l’arrivée, qu’au bout du chemin, il est fort à parier (cynique pari !) que certains ne seront déjà plus en vue et que nous aurons bien du mal à les retrouver.

Que pourrait-il être fait pour que certains élèves ne soient déjà plus sur le chemin à la fin du confinement ?

La question se pose donc bien maintenant ! Et c’est dès maintenant qu’il faut agir et se repositionner envers les familles. Non, il ne s’agit pas en ce moment d’avancer dans les programmes. Il n’est pas question de déléguer aux parents les compétences des enseignants dans les classes. Il est question d’aider au mieux les parents à accompagner leurs enfants dans la chose scolaire puisque les enseignants ne sont pas en ce moment sur le chemin qui emmène leurs élèves. Aider au mieux les parents , c’est peut-être déjà, entendre leurs inquiétudes, les rassurer sur l’après, reconnaître leurs efforts et leur implication à leur mesure et sans jugement de valeur.

Si on pouvait leur dire de ne pas s’inquiéter, que le retour sera particulier, exceptionnel comme le fût ce temps que nous venons de vivre, ce serait sans doute apaiser les tensions ! Nous nous sommes découverts les uns et les autres, petits et grands. On a reconstruit des relations, on s’est attachés à prendre soin de soi et des autres. Nous avons traversé ensemble une zone de turbulence qui n’avait pas de fin. Nous avons, de fait et parfois contraints, partagé nos angoisses et nos vieilles peurs revenues. Nous avons abordé ou côtoyé, sans le savoir peut-être, des questions nées de la nuit des temps, faisant de nous des philosophes empiriques.

Quelle richesse pour nous, pour nos enfants, pour nos élèves. Il y aura matière à dire et pour nous enseignants, matière à écouter et à entendre. Il ne faudrait pas rater ce rendez-vous. Là où chaque enfant aura sa part à apporter parce -qu’elle lui sera propre, personnelle et porteuse d’une émotion qu’il lui faudra ex-primer… faire sortir la pression. Il ne faudrait pas passer à côté de ce trésor parce-que trop occupés à remplir un cahier des charges obsolètes qui n’aura pas de sens.

Quels dommages causerions-nous si au bout du chemin, nous ne tenions compte que des élèves arrivés ? Des classes vides d’élèves se sentant concernés, des chaises porteuses d’enfants inquiets, des rangées de résignés, peut-être ! Un appel, le matin qui résonnerait creux.

A qui faisons-nous la classe, de qui sommes-nous les enseignants, qui servons -nous, nous , pédagogues ? Sur le chemin, nous ne laisserons personne … quand nous aurons repris le chemin, à l’école avec nos élèves, nous leur prendrons la main, là où ils sont et nous avancerons ensemble !

 

 

1 commentaire sur « (FERMÉ) Billets d’humeur : Le maître E en mode confinement. »

  • Journal d’un début de confinement
    4ème jour
    Quatre jours, trois nuits. Quatre jours de confinement, trois nuits d’insomnies, le trouillomètre affolé. C’est ma médecin qui a pris la décision. Enfin, c’est pas elle, mais c’est tout comme. Ce n’est pas à vous de faire de ça, m’a-t-elle dit. Et voilà, je suis trop vieille pour me porter volontaire pour accueillir les enfants de soignants. Surtout sans masque. Je serais tentée de dire, finalement, je suis contente d’être trop vieille, pour une fois. Mais non, je ne le dis pas. Je ne suis pas fière de moi.
    5ème jour
    Je commence à relâcher. Je vais pouvoir me concentrer sur mon travail. Du moins celui qui peut se faire à distance, c’est-à-dire les écrits, professionnels bien sûr. Je ne pensais pas déclencher la peur à ce point en me portant volontaire. La dernière fois que je l’ai ressentie, cette peur de disparaître de la surface de la Terre, c’est quand le malin s’est infiltré dans un grain de beauté. C’est fou ce que l’infiniment petit peut faire comme dégât.
    7ème jour
    Hier soir, j’ai applaudi à ma fenêtre. Quelques échos dans les jardins comme une caisse de résonance. Je n’habite pas un immeuble. Mais je n’applaudirai qu’un soir sur deux. Nos héros ont aussi le droit d’avoir peur. Je leur laisse cette possibilité, moi qui l’ai eue.
    8ème jour
    Deuxième semaine de confinement. Je n’ai pas encore trouvé mes marques. Mon travail, impossible de le faire en distanciel. Le sentiment d’inutilité me gagne quand je lis les mails des collègues qui s’agitent en tous sens. Moi, je me suis confinée dans mes écrits professionnels. Je vais avoir bientôt terminé.
    10ème jour
    Je compose le numéro de téléphone. Quelqu’un répond. Un peu interloqué visiblement puisque j’appelle en numéro masqué. Je me présente. C’est à la maman de B. que je parle. On ne se connaît pas. Pas facile de faire connaissance au téléphone. J’explique que B. est venu travailler les mathématiques avec moi et trois autres élèves. Je n’aime pas ce terme « travailler ». Je lui préfère le mot apprendre. Mais c’est celui qui est d’usage. Et après tout, on peut très bien travailler les maths comme on travaille une pâte à pain. Apprendre, c’est pétrir. B. a visiblement parlé de ce que l’on a fait ensemble. Et la maman est contente de ce « travail ». Ça va m’encourager à poursuivre mes appels. Pour la « continuité pédagogique ». Je demande si je peux parler à B. B. ne réussit pas à faire un exercice sur les triples et les tiers. Eh bien pour trouver le triple de 4, il faut que tu le multiplies par 3. C’est-à-dire qu’il faut faire 4X3. Et si tu ne connais pas tes tables de multiplication, tu peux faire 4+4+4, c’est la même chose. B. n’a aucune hésitation quand elle me dit : oui, mais là, c’est pas pareil, c’est des grands nombres, et ça, je sais pas faire. Mince, on avait justement « travaillé » les grands nombres ensemble. Peut-être pas suffisamment pétri.
    11ème jour
    Je compose un autre numéro de téléphone. Personne ne répond. Je laisse un message. Et je tente un autre appel. Cette fois, c’est le papa de E. qui répond. On ne se connaît pas. Toujours pas facile. Quand je commence à parler à E., je vois bien qu’il est un peu surpris. E. ne sait pas dire s’il s’en sort avec les exercices que lui donne son maître. Donne-moi un exemple alors de quelque-chose que tu ne réussis pas à faire. E. hésite. Il réfléchit et me dit : ben le 17. Le 17 ? C’est quoi le 17, le numéro de l’exercice ? C’est 17. Tu dois faire quelque-chose avec le nombre 17 ? Ben c’est 17. Mais c’est quoi l’exercice, tu peux me lire la consigne ? C’est 17. Je crois qu’on n’y arrivera pas. E. n’a probablement pas parlé français depuis une semaine. Il a perdu ses mots.
    12ème jour
    Toujours personne au numéro d’hier. Je laisse un nouveau message. Je ne rappellerai pas. J’essaie un autre numéro. Des cris d’enfants dans le téléphone, un jeune enfant. On a du mal à se comprendre avec la maman, trop de bruit. Elle finit par me passer D. Mais je n’entends qu’un « oui » lointain, je lui dis que je ne l’entends pas. « Oui » lointain. Tu ne veux pas me parler ? « Oui » toujours lointain. Alors soit il est devant un jeu vidéo qu’il ne veut pas lâcher, soit il ne veut pas me parler. Ce qui m’étonne. D. est toujours affectueux et malgré ses 9 ans, il lui arrive de me serrer dans ses bras quand j’arrive à l’école le matin. Je suis déçue. Il devra m’expliquer après le confinement. Sa maman reprend le téléphone et me parle tout en parlant à quelqu’un d’autre pour lui dire qu’elle doit prendre je ne sais quoi je ne sais où pour le donner à je ne sais qui avec toujours des cris en toile de fond. Elle réussit à me dire que les exercices du maître, elle en recopie certains car elle n’a pas d’imprimante. Et D. les donnera quand il retournera à l’école.
    13ème jour
    Je jardine. Le chat des voisins est malade. Je l’entends vomir derrière la palissade. Sa maîtresse appelle le vétérinaire. Oui, je vais faire ça répond-elle. Je jardine, il fait frais mais beau. On pourrait croire que tout est normal. Le chat me rejoint. Il respecte la distanciation sociale. Il s’installe sous la pivoine arbustive. J’espère qu’il ne va pas vomir dans le jardin. Dans l’après-midi, il va boire dans le petit arrosoir. Je me demande s’il ne va pas rester la tête coincée dedans. Puis il rejoint la touffe de vergerettes en titubant. C’est pourtant de l’eau dans l’arrosoir. Il écrase toute une partie des pâquerettes en s’installant dessus. Le soir, le chat est toujours là. La nuit tombe. Je vais voir les voisins gantée et à distance respectable.
    14ème jour
    C’est le Week end, je jardine encore un peu. Le temps se rafraîchit. A l’abri des palissades, on oublie les morts. Le chat est revenu. Il se déplace avec difficulté. Il fait le même circuit qu’hier. D’abord la pivoine, puis l’arrosoir, puis la touffe de vergerettes. Le vent se lève, il s’engouffre dans la fourrure du chat, la température chute en soirée. Le chat ne bouge pas de sa place. Un peu plus tard, il a un sursaut, il bondit et disparaît derrière la touffe de vergerettes. Ne dépasse qu’un petit bout de queue. La nuit s’approche. Je vais voir le chat. Il est mort. C’était un chat noir. Ce n’est que le début du confinement.
    Geneviève Bourges – RASED Rennes sud (35)

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